Hommage prononcé lors des funérailles de Jean-Marie Borzeix

Nous ressentons tous ici, intensément, en cette heure de grand chagrin, le privilège qui fut le nôtre d’approcher Jean-Marie Borzeix, de le connaître et de l’aimer. De l’accompagner en toute ces occasions où il proposa à ses proches le déroulé des meilleurs chemins. Lorsqu’il accepta de rejoindre France Culture, à sa tête, pour le bonheur de la chaîne, il était déjà entouré de beaucoup de considération dans le monde où il avait choisi de déployer ses dons et ses convictions. Le monde d’un journalisme ancré depuis Combat jusqu’aux Nouvelles littéraires, où sa curiosité était déjà libérée de toutes les étroitesses hexagonales. Le monde d’une entreprise éditoriale, le Seuil, où, comme directeur littéraire, il avait fait admirer l’efficacité de sa recherche de tous les talents. Il connaissait moins la radio, mais il ne fallut que très peu de temps pour que ses qualités humaines et intellectuelles s’affirment brillamment au profit d’une antenne renouvelée. Ce que fut sa marque, ce que fut son succès, durant quatorze années, ceux qui viennent de vous parler l’ont montré à profusion. Là où j’étais, j’en fus aussi le témoin reconnaissant. Il était rigoureux sans être ombrageux, inventif sans être primesautier, déterminé sans être obstiné. Un certain pessimisme, parfois angoissé, qu’il éprouvait quant à l’évolution du monde, et que les dernières années n’ont malheureusement pas pu désarmer, ne l’a jamais détourné d’une conviction : celle que la culture, à condition qu’elle fût offerte au-delà des cercles que privilégie l’héritage, pouvait, si elle s’ouvrait à tous les souffles de la création, à toutes les générations, contribuer à désarmer bien des passions délétères. Pour cela, il fallait que la chaîne que nous aimions, sans rien abdiquer de la transmission du patrimoine, s’ouvrît plus largement à tous les talents nouveaux, qu’elle s’ancrât plus résolument dans son époque, dans son quotidien. Mais tout soucieux qu’il fût de refléter l’air du temps, il ne fit pourtant jamais de génuflexion devant les prétentions du parisianisme. S’il ne négligea pas les prestiges de la capitale comme creuset de créations multiformes, ses collaborateurs, ses complices peuvent témoigner [ ils viennent de le faire ] du prix qu’il attacha à un enracinement dans l’ensemble du territoire. Au long de sa vie, ses origines, du côté du Limousin, demeurèrent essentielles pour lui, et il en parlait souvent. Le plus émouvant de ses livres, qu’il intitula Jeudi Saint, consacré à un drame qui survint pendant l’Occupation, en fournit la preuve éclatante. Sous son autorité, France Culture se mit, plus qu’auparavant, en quête des « pays d’ici », comme nous disions, en quête de toute la richesse profonde de nos provinces. Ce qui ne l’empêcha pas, à hauteur planétaire, de se faire le serviteur inébranlable de la francophonie, dont il porta les ambitions sans relâche : et cela spécialement quand il enrichit de sa présence, plus tard, la Bibliothèque nationale de France. Il croyait à la fécondité des débats lorsque ceux-ci permettent que les intelligences se bousculent entre elles pour le meilleur des analyses et des perspicacités. On a évoqué les entretiens de Pétrarque, quand il s’en saisit, à l’occasion du festival de Radio France, pour en créer l’habitude et le rituel, avec quelque chose comme une joyeuse ardeur – joyeuse, mais aussi pudique. La pudeur enveloppa en effet toujours l’expression de ses sentiments. Mais sans jamais l’empêcher de signifier à tous ceux dont il soutint les projets et la vocation sa considération et la clarté de sa confiance. Ils ne l’oublieront pas. Nous souhaitons que, parmi leur douleur, Anni, Nicolas, Katharina, Noémie, Valérian, sachent de quelle fierté ils pourront nourrir désormais leur fidélité à la mémoire étincelante de Jean-Marie Borzeix. 

Jean-Noël Jeanneney